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Une avocate nous parle de son métier

Interview de l’avocate Maître Marie-Claire LUCIEN

Pourriez-vous me décrire votre métier ?

Je suis avocate au barreau de Paris depuis 1995.

J’interviens dans la sphère du droit de la famille. J’accompagne les personnes qui se séparent, qui divorcent dans des contentieux qui arrivent chez le JAF (Juge aux Affaires Familiales).

Je m’attache toujours à accompagner les personnes, en leur expliquant que lorsque le dossier sera terminé pour mon cabinet, il sera archivé, c’est à dire qu’il sera terminé. Alors que de leur côté, il leur faudra continuer à laisser une place à la personne avec laquelle ils se seront séparés pour pouvoir continuer à accompagner leurs enfants et j’œuvre autant que faire se peut dans cette optique-là.

Avec quels professionnels travaillez-vous ?

Dans le cadre des contentieux liés au droit de la famille, j’assiste les personnes devant le JAF. Dans ce cadre, des experts peuvent être désignés, notamment des notaires lorsqu’il s’agit de procéder à la liquidation de leur régime matrimonial et il m’arrive tout naturellement de travailler avec des médiateurs familiaux puisque le JAF peut enjoindre aux parties de s’informer sur le processus de médiation familiale pour trouver une issue amiable à leurs différends.

Quelles sont les situations que vous rencontrez le plus souvent ?

Bien souvent, ce sont des parents qui se séparent, et qui doivent gérer leurs différends, pour la résidence des enfants, la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants et la liquidation du régime matrimonial c’est-à-dire la répartition du patrimoine de la famille et l’obtention éventuelle d’une prestation compensatoire. Ce sont des situations familiales très conflictuelles. Je m’attache à dire aux personnes sans détour, que rester sur le terrain pur et dur du conflit sera long et douloureux et surtout ne servira pas la cause des enfants qui doivent pouvoir, après la séparation, bénéficier de la présence apaisée de leurs deux parents.

Quelles sont les situations pour lesquelles vous proposez la médiation ?

Il y a peu de cas qui ne relèvent pas de la médiation, même pour des situations qui n’évoluent pas depuis des années. Un conflit qui perdure ne peut pas être une situation pérenne surtout pour les enfants. Il a été démontré que si les parents ne s’entendent pas, la résidence alternée ne peut pas être mise en place et le JAF la refuse. Donc, dans ce cadre de figure, j’invite très vivement les personnes à contacter un médiateur familial.

Vous est-il arrivé de convaincre le JAF ou votre confrère ou consoeur de l’intérêt de la médiation ?

Le décret de février 2022, consacre le pouvoir du Juge de faire injonction aux parties de rencontrer un médiateur, même si les personnes ne sont pas d’accord. Les magistrats sont plutôt proactifs sur la question. Pour convaincre un confrère ou consoeur, cela peut être encore difficile même si nous sommes de plus en plus ouverts aux modes alternatifs des règlements des conflits pour trouver une issue amiable. Notamment, également, au moyen du droit collaboratif que je pratique. Lorsque le confrère pratique également le droit collaboratif nous essayons en présence des parties de trouver une issue amiable au différend. Mais il faut savoir qu’en cas d’échec du processus dans ce cadre particulier, les avocats doivent se retirer du dossier. Puis si vraiment les confrères ou les parties campent sur leurs positions, il faut parfois lancer une procédure judiciaire pour les ranger à notre suggestion de médiation.

Les personnes sont-elles plutôt enclines à aller vers la médiation ou vers le droit collaboratif ?

Plutôt plus enclines à aller vers la médiation. Cela s’explique, peut-être, parce que les justiciables rangent les intervenants dans leur propre case. L’avocat, c’est celui qui plaide et porte leur parole de manière parfois véhémente, devant le Juge et le médiateur a plus, une place de tiers impartial.

Qu’est-ce que la médiation familiale apporte aux personnes et quel est son impact sur votre suivi avec ces personnes ?

La Médiation Familiale, pour moi, est un moyen pour les personnes de construire finalement elles-mêmes, l’issue, « LEUR» solution à leur contentieux et ça sera nécessairement la meilleure solution car elle sera en quelque sorte du « sur mesure ». Ce qu’un JAF ne peut pas faire. Il y aura souvent avec une décision de justice, une des deux parties qui ne sera pas satisfaite du jugement.

La Médiation Familiale permet aux personnes de « poser leur paquet sur la table » pour que l’autre puisse entendre ce qu’il (elle)  n’a pas entendu jusque-là, ce qu’il (elle) n’a pas  compris, et cela  devant un tiers qui sera neutre, pas là pour les juger mais pour s’assurer que chacun a entendu l’autre. Parfois c’est difficile car les personnes qu’on accompagne ne veulent pas aller en médiation en expliquant à propos de l’autre : « Il ou elle ne comprendra pas… ».

Il faut les convaincre ou à minima d’avoir un entretien d’information pour que les parties voient l’intérêt que la médiation pourrait avoir pour elles, car elles doivent rester parents ensemble.

Avant la médiation, Les parties sont inquiètes et veulent savoir si les avocats pourront être présents lors du processus de médiation. Pour les rassurer j’accompagne mon ou ma cliente au rendez-vous d’information.

Pour vous, y a -t-il le temps des émotions et le temps du droit ?

Nous accueillons dans nos cabinets des personnes qui arrivent avec leur vie et nous écoutons aussi beaucoup les émotions. Dans le secret de nos cabinets, nous essayons de faire entendre à notre client ou cliente comment l’autre personne a pu ressentir les choses mais ce n’est pas exactement le travail de l’avocat. L’idée pour moi et certains de mes confrères ce n’est pas de gagner mais de maintenir une unité de parent pour les enfants.

La médiation joue un rôle majeur, encore plus aujourd’hui où malheureusement le traitement des dossiers judiciaires est très long, très difficile et la médiation, en plus de résoudre le problème pour lequel les personnes sont venues en médiation, aide à mieux s’entendre sur d’autres difficultés de leur vie en général et repartir sur de nouvelles bases à bien des égards. Plusieurs personnes m’ont dit : « Maître cette médiation m’a permis de voir les choses autrement ».

Nous avons des personnes, à qui nous avons proposé la médiation, qui disent que le conflit a été exacerbé par le fait de la procédure et des dossiers à charge. On entend « c’est horrible ce que tu as dit , tu as dit que j’étais une mauvaise mère, tu as dit que j’étais un père absent qui ne s’occupe pas de ses enfants ».

Tous les avocats ne travaillent pas de cette manière. L’avocat doit expliquer au client que de telles écritures de tels propos peuvent avoir une portée qui ne sera pas utile au conflit mais ne fera que le cristalliser, surtout pour les enfants.

Quelle est la proportion d’affaires que vous envoyez en médiation ?

C’est conséquent, de l’ordre de 80%.

En conclusion : apaiser le conflit pour que les personnes puissent être parents ensemble sans rancune et sans conflit, c’est le travail de collaboration de tous les acteurs qui oeuvrent dans le domaine familial. Chaque professionnel y a sa place et apporte sa pierre à l’apaisement.

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